Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/11/2013

Combien vous coûte votre petit noir ?

Attention, je ne vais pas parler d'esclavagisme moderne mais du breuvage qui vous donne un petit coup de boost tous les matins et surtout du signal prix qui l'accompagne. 
Prenons ce matin et regardons les différentes opportunités qui s'offraient à moi pour avoir ma dose de caféine : 

  • le faire et le boire à la maison : il me faut quelques minutes (au SMIC, 50cts) pour moudre le café en grains à la main (~8€ les 250g, donc 40cts pour les 12g d'une vraie dose de café), faire bouillir de l'eau (quelques centimes d'électricité et d'eau) et mettre le tout avec un sucre (2cts) dans mon presse isotherme de chez Bodum (amortissons à 10cts). Avec le nettoyage des ustensiles, je pense qu'on revient à environ 1€20 pour un plein mug de bon café. Si je basculais sur une machine Nespresso comme beaucoup, le coût de revient serait équivalent, mais pour du pipi de chat très uniforme et utilisant de l'aluminium pour pas grandchose.
  • pour un prix équivalent (1€10), je pourrais obtenir un expresso sucré dans une machine Selecta en gare de Lyon Part-Dieu, bien plus petit et moins bon, et qui oublie le coût environnemental du gobelet et de la touillette en plastique.
  • c'est un gobelet en carton et une touillette en bois que je peux récupérer auprès de Pain à la ligne, toujours en gare, pour 1€70
  • le même, dans le TGV et avec une touillette plastique me coûtera 2€50. Ou 2€30 dans un TGV Lyria.
  • c'est dans une tasse en faïence que le serveur de Illy juste à côté de la gare me servira un délicieux expresso pour 2€, avec possibilité de se servir du sucre de canne
  • si j'attends un peu d'arriver au bureau, mon entreprise offre le café, un soluble vraiment pas terrible mais qui a le mérite de couler d'une machine (louée) simplement en pressant un bouton. 
  • enfin, il me serait toujours possible d'aller à l'hôtel de Louvre où j'ai déjà bu un expresso, accompagné de petit chocolats et biscuits, ainsi qu'un choux hallucinant de sucres, pour la modique somme de 8€40.
  • je ne suis pas rentré dans des considérations de café bio, équitable ni dans le distinguo arabica vs robusta pour simplifier un propos déjà complexe.

On voit donc que le 'signal prix' du café peut être très variable et parfois totalement décorrélé d'une quelconque réalité. Il ne découle en effet pas tant du prix des matières premières et du travail pour le produire que du contexte dans lequel on se trouve : captif dans le train ou dans une gare, pris en otage dans un lieu de prestige comme l'hôtel du Louvre, chéri par son patron qui souhaite stimuler notre productivité ou encore totalement libre à la maison.

Le café fait assurément partie des commodités de notre monde actuel, on le trouve partout et en abondance via de très multiples circuits. Or la notion de signal prix, propre à l'économie de marché, ne fonctionne en réalité bien que... sur des marchés, organisés ou pas, mais avec des acteurs purement rationnels, comme le veut la théorie. Ceci ne s'applique qu'aux marchés de gros, et encore. 
Pour le consommateur individuel, la simple notion de vouloir consommer 'maintenant' ou 'plus tard' un café, d'en prendre un pour accompagner un ami ou pour l'offrir, le fait d'avoir largement de quoi le payer ou bien de compter ses sous, fait que le prix effectif du café n'a pas valeur de signal. Pour quelqu'un comme moi qui bois un millier de cafés par an, je pense que je me pose la question d'optimiser le prix environ une dizaine de fois au maximum.

Quelle est ma conclusion ? Je viens de réinventer la roue et de constater que la théorie économique sur le fonctionnement des marchés est un outil très imparfait pour tenter d'expliquer la mécanique de l'économie. Ce n'est pas très nouveau. Nous pourrions avec les technologies modernes mesurer tout cela : avec un smartphone et des codes-barres 2D bien pensés, on peut envisager d'enregistrer la quasi-totalité de nos transactions sans grand effort. Mais ce que nous gagnerions en euros et en statistiques, nous le perdrions alors en spontanéité. Quelle est la valeur d'un sourire ? Et d'une minute ?
La monnaie, que nous avons choisie pour être l'unité de compte de nos transactions, souffre de l'imperfection de l'évaluation des prix, possible pour le matériel, terriblement difficile pour l'immatériel. Un "je t'aime" peut valoir des millions tout comme il peut se heurter à une totale indifférence. 
Alors faut-il abandonner un outil imparfait ? Certainement pas, mais il faut en mesurer les défauts pour ne pas donner une valeur injustifiée à un outil. Cette histoire de café avait comme vous l'aurez compris l'objectif de montrer qu'il ne faut pas se fier à l'argent et aux prix : si vous sympathisez avec le patron de l'hôtel du Louvre, il sera ravi de vous offrir un café à 8€40, tandis qu'il trouvera saugrenu de vous tendre un billet de 5€ "just for nothing".

Update : Le café "George" au Train Bleu (restaurant huppé de la Gare de Lyon) est à 5.70€

assJvkG8nnfiONugpO7wE8UgiwdkpAjDxaGM0l52RA=w507-h589-no